Il était une fois, une fois de trop, j’ai donné ma peau.
Il y a bien longtemps maintenant.
J’étais si jeune, si neuve, si vierge.
Il était une mauvaise fois, une jeune fille de banlieue amoureuse d’un vaut rien. Comme dans les contes mal faits quoi.
Le loup, ce sale bâtard, comme dans les contes a pris ma chair, ma chair fraiche.
Et moi, princesse sidérée, comme dans les mauvais contes, je lui ai donné ma peau.
Pas besoin de chevaliers merdeux, j’ai moi-même donné la peau de l’ourse après qu’elle ait été tuée.
Ma peau.
J’ai, moi-même, récompensé cette raclure de braconnier de m’avoir attrapée. Je lui ai livré mon corps de jeune fille exsangue sur une table de bureau, un jeudi après-midi, dans son appart insalubre de Saint Denis. Un bout de cellophane, un lavage de mains succinct, un dessin à l’arrache. Le prince badant a pris ses aiguilles et m’a gravé la peau. Bien sûr, c’est lui qui a choisi quel endroit de mon corps il allait griffer.
Mais c’est moi, blanche neige dissociée, qui lui ai demandé. J’ai même dit s’il te plaît, bouffonne que j’étais. J’ai dit : s’il te plaît tatoue moi. J’ai dit : non j’ai pas peur. J’ai dit :c’est toi qui décide. J’ai dit : j’ai pas mal. J’ai pas mal. Ne pas écouter l’oursonne terrorisée.
J’ai dit : Tu m’as déchirée dedans, s’il te plaît, déchire-moi dehors. Que tout le monde voit que je t’appartiens à jamais.
J’ai dit : Merci ! Un grand sourire de proie sur ma face de princesse j’ai dit merci au prince des bâtards.
Il était une fois, j’ai donné ma peau.
Moi-même.
Une fois.
Deux fois.
Beaucoup de peau.
Une fois de trop.
Le temps a passé.
La petite pépète s’est extirpée du conte cramé. J’ai quitté le corps de jeune fille en fleur, j’ai gentiment laissé cette enveloppe là au pied de mon tas de linge sale. Je ne la remettrai pour rien au monde.
Rides, vergetures, cicatrices, et autres sillons magnifiques sont venus orner mon corps.
Maintenant, je réécris l’histoire, je répare.
Je répare en donnant des bouts de ma peau à des personnes qui ne veulent pas me kidnapper. Plus aucun prédateur ne touchera ma peau d’ourse.
Je me fais tatouer comme on va chez l’ostéo. Je me fais tatouer pour prendre soin de moi, pour faire peau neuve.
Je vais voir des tatoueuses comme on va voir une rebouteuse. À chaque peine, à chaque joie, à chaque choix, je cours voir quelqu’une qui me marquera ça.
Le temps a passé et je me réconcilie avec ma peau. La douleur de l’aiguille qui me pénètre, je la choisis. Chaque piqûre me redonne de l’amour à moi-même. Oui maman, j’aime cette douleur. Oui maman, j’aime que ce soit indélébile. C’est précisément ça, la douleur choisie indélébile qui me répare.
Petit à petit, je me recouvre. Je me recontourne.
Je me marque. Je me réinvente un conte de fée, sans homme, sans servitude, sans stupeur.
Je ne ferai jamais disparaître les stigmates du conte de fée pété. Je ne veux pas. Mais je récupère ma peau d’ourse, et je la dessine, comme un armure…
Mes tatoueuses sont mes guérisseuses, elles ne le savent pas, mais elles le sont.
Plus mon corps se recouvre et plus j’aime ma nouvelle peau…
Il était une fois, une jolie fois, une fois pour toutes, une peau d’ourse que plus personne m’arrachera.