Cas d’école

Bien. Ok. C’est bon.
Nous avons bien compris la leçon.

Il a fallu beaucoup de temps.
Ce fut bien long et laborieux,
Ce fut sueur et douloureux
Ça ne voulait pas, ça ne rentrait pas.

Nous étions trop poupées de cire poupées de son,
Pas très sérieuses, filles de chiffon.

Sur nos carnet vous commentiez :
« Filles têtes en l’air et dissipées,
Petites pimbêches indisciplinées. »
Vous nous donniez des noms d’oiseaux
À nos corps et nos cerveaux.
Nous ne vous avons pas aidées,
Vous qui étiez si dévouées à nous offrir vos vérités.

Tant de fois.

Nous avons tant de fois redoublé.
Pardon messieurs, les éduqués,
Nous avons raté, nous voilà toutes raturées.

Nous sommes des pauvres écervelées.
Des jeunes greluches un peu teubés.

Nous avons été si long.ue.s,

Nous avons été si lent.e.s,
Nous avons été comprendsvitemaisfautluiesspliquerlongtemps.
Et vous, vous nous refaisiez la même leçon, invariablement.

Mais…

Mais c’est torché. On est passées.
On a le diplôme, et on peut recracher la dictée :
« Il faut séparer le bon chien du goret. »

« Il ne faut pas confondre la merde et le bidet »

« Qu’importe le vaux rien, pourvu qu’il y ait chef d’œuvre. »

Ça y est. Ça y est.

C’est monté au couteau, on a capté, on va couper.
Plus de stress, les gamines ont bien saisi les Maîtres.
Merci pour votre patience, votre endurance, on a été des mauvaises élèves.
Mais ça y est, les gars, les écolières ont avalé toutes vos dictées.
On est arrivées.
Allez, on a trop trainé, la soupe est chaude, on veut pas louper le dîner. Pour une fois on va être des filles bien sages, polies, des perles rares.
On va faire nos devoirs.

Faut nous excuser, Messieurs Chef d’Oeuvre là, on a mis un peu longtemps.
On avait perdu notre chemin à force de crever.
On arrivait pas à penser à force d’être violées.

Mais t’inquiète frère, maintenant on est al.
Et les maitres sont devenus vieux et sales.
Quand on s’évadait dans nos pensées, nos culs sur les chaises de votre classe, les cuisses nouées
On taillait nos crayons, bien concentrées à ne pas penser.
Aujourd’hui nos mines sont devenus des pointes si aiguisées qu’elles vous perforeront la carotide en une légère envolée. Ça sera beau comme un Picasso papa.
Nous aussi on est des artistes t’as vu ?
Ça y est,

Vous pouvez être fiers de vos petites, Elles se sont appliquées.

« Nous devons séparer.
L’artiste du danger. »
Nous avons pourtant écrit, écrit, écrit dans nos cahiers pour ne pas oublier qui vous étiez.

Ça n’a pas suffi.

Vous nous avez punies.
Nous avons alors dit à voix haute, à voix haute les autres leçons dont vous nous avez gavées, tant et si bien que nos cuisses ont saigné.
Vous nous avez encore dit qu’on avait rien compris.
Et vous nous avez punies.

Mais ça y est.
Ça y est les fillettes sont dans la place.

On a toujours les cuisses trop serrées mais à force on s’est musclées, t’as pas idée.

Nos jambes pourraient séparer le chef de l’œuvre en un seul geste.
Dis maman, si on bute un chef d’œuvre, est-ce que ça devient un hors d’œuvre ? C’est l’heure du goûter. J’ai faim. Nos estomacs sont vides. Il est l’heure qu’il soit l’heure. On vous donnera pas de longueur d’avance, c’est maintenant notre leçon, et ce sont nos règles qui vont couler.

Nous sortons de l’école. La sonnerie retentit.
La horde d’enfant passe la grille en courant.

Nous sommes bien prêtes.

Vous pouvez être fiers de nous.

Avec nos compas, nos règles, nos ciseaux, nos équerres, nos stylos.
Nous allons appliquer la règle et l’exception.

Nous arrivons.

Avec joie, enthousiasme et application,

Nous avançons.

Avec le sérieux et la précision des alchimistes

Nous allons enfin pouvoir

Séparer l’homme, de l’artiste.

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